• Esperluette, Partie II, Extrait III



    Je marche.

    Je marche à contre-jour.

    Je marche à contre-jour sur fond monochrome la rumeur de la foule interprète un prélude de Chopin mais le trottoir en fait exprès d'être gris à chaque pas je regrette l'instant qui s'échoue aussi je cherche au hasard des murs le réconfort des graffiti dégoulineux soudain une voix émouvante me tire de mes hallucinations aléatoires : "C'est deux cents l'amour".

    Vingt-quatre marches plus haut nos deux corps nudâtres s'effarent sur un pauvre matelas j'ai au creux de mes mains bleues la tiédeur épaisse et odorante de ses deux seins et je ne sais pas à quoi penser à peine goûté-je le tempo indifférent de sa respiration et la douceur un peu crue de ses yeux noirs quand chute une jouissance incrédule la chambre était obscure.

    Un merci bizarre et vingt-quatre marches plus bas je retrouve les gris inquiétants du trottoir toute la journée je serrerai les poings au fond de mes poches pour garder sur mes paumes l'empreinte piquante de l'amour à deux cents.

    Et je marche.

    Déjà le soleil n'est plus qu'une pomme trop mûre qui tombe des arbres dans les rues pavées de ciel mandarine des filles en robes d'amoureuses valsent aux bras des bandonéons au comptoir des guinguettes le bois sent bon la bière pas chère et le rire des hommes un peu saouls.

    Et je marche et je me cogne aux perpendiculaires des boulevards périphériques et bousculé par les rues adjacentes et le long des longs trottoirs qui s'entrechoquent et je marche et j'enjambe les heures qui roulent à terre.


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